Jadis, alors que le monde était divisé à part égale entre mer et terre, et que les hommes profitaient des bienfaits de l’une et de l’autre, l’Océan, lui, se trouvait très à l'étroit.
Bordé de toutes parts par les grands continents, il regrettait de ne pouvoir avoir plus de place et prit la décision de contrevenir au désir des dieux pour s’étendre. Mais il fallait pour cela qu’il soit prudent, car si les dieux le découvraient, il serait gravement puni. Ainsi, lorsque la nuit fut tombée, il commença, doucement, à ramper sur la terre, sans un bruit, engloutissant dans leur sommeil des villages entiers, des forêts et des montagnes. Dans son souci de discrétion, il évitait de plusieurs kilomètres les lieux de culte et les Maraes, afin de ne pas alerter les dieux. Chaque jour, il cessait, et chaque nuit, son expansion reprenait, insidieuse. Mais si les dieux ne faisaient pas attention à cet agrandissement des eaux profondes, les hommes, eux, le voyaient et avaient peur. Ils n’entendaient pas l'Océan qui venait la nuit les noyers, et craignaient d’en être un jour victime.
Un jeune Polynésien, cependant, avait remarqué que les eaux évitaient les Maraes et autres lieux de culte. Et un soir que la mer avait englouti un village voisin, il fit quelque chose de Tapu, d’illégale aux yeux des dieux : il prit sur le Marae d’Oro, dieu de la fertilité et de la guerre, une grosse pierre qu’il plaça à l’entrée de son village. La nuit tombée, quand l'Océan s’approcha pour prendre encore plus de terre, avide, il toucha cette pierre sacrée et déclencha la colère des divinités Polynésiennes. Ne pouvant plus ignorer l’Océan, Ta'aroa le premier Dieu, le maudit : désormais, chaque vague ferait le bruit d’un orage, et plus jamais l’Océan ne pourrait s’approcher en silence des villages, son bruit serait tel que les habitants auraient le temps de fuir, et que les dieux eux-mêmes l'entendraient se déplacer.
Furieux, frustré et honteux, l’Océan n’essaya plus depuis lors, de prendre plus de place sur terre, se contentant de s’agiter avec fracas entre les morceaux des terres sacrées, les îles, qu’il avait créées. Depuis ce temps-là, l’Océan est bruyant et agité, et c’est ainsi qu’ont été créées les îles des archipels de Polynésie.
Cette légende a été réécrite par Anna Ariabinsky.